Difficile de faire du feu en saison de pluie. Genoux à terre, accroupi devant son foyer ouvert, Claudine allume le feu avec les bois de chauffage ce mardi 02 Janvier à Ruvumvu, en zone, commune et province Bubanza, au Nord-ouest du Burundi. Néanmoins, le feu ne s’allume pas. A défaut du feu se dégage beaucoup de fumées nocives. Ces dernières se répandent en pagaille à l’intérieur de la cuisine. Elle tousse et les larmes silencieuses coulent le long de ses joues. Son bébé, âgé de huit mois, pleure en implorant l’assistance de sa mère.
En tête des énergies pour la cuisson des aliments au Burundi, le bois dégage des fumées nocives qui contribuent à la pollution de l’air à l’intérieur des habitations, source des maladies respiratoires et l’un des premiers facteurs de la mortalité et de la déforestation.
En milieu rural, la cuisine est souvent rattachée à la maison principale au Burundi. Selon Claudine, la fumée se répand directement à l’intérieur de la maison et dans la cour. Même notre maison sent les fumées, nous partage Claudine. Nous avons tellement cohabité avec les fumées que nous sommes mithridatisés, relate-t-elle.
La Politique Nationale d’Assainissement du Burundi et Stratégie Opérationnelle Horizon 2025 montre qu’un tiers de la population burundaise vit quotidiennement dans des conditions d’hygiène déplorable: elle est en contact avec une atmosphère saturée de mauvaises odeurs.
Claudine avance les raisons pour lesquelles le feu ne s’allume pas convenablement: «En saison de pluie, nous coupons les bois de chauffage encore frais et les utilisons illico, car les bois de chauffages secs sont une perle rare. Les bois de chauffage humides animent alors le feu de mal en pis. Nous restons dans les parages du foyer pour allumer le feu tout le temps.».
Pour elle, la situation est un peu tolérable en saison sèche, c’est-à-dire de juin à septembre, voire octobre quand les bois de chauffage sont secs et animent très bien le feu.
« Les bois humides ou frais dégagent beaucoup de fumée. Les fumées nous asphyxient et empêchent de bien respirer. » nous raconte Claudine en séchant ses larmes avec son pagne et en consolant son enfant.
L’OMS indique qu’en faisant le feu, un éventail de polluants nocifs pour la santé, notamment de petites particules pénètrent en profondeur dans les poumons et dans la circulation sanguine.
Dans les zones rurales, les burundais ont recours aux bois de chauffage pour faire la cuisson tandis qu’en milieu urbain, ils utilisent souvent le charbon de bois qui dégage un peu de fumée, indique le Professeur Frédéric Bangirinama, expert en environnement et enseignant à l’Ecole Normale supérieure.
Dans notre pays, 96,6 % des burundais utilisent les bois pour faire la cuisson des aliments.
La consommation du bois de chauffage augmente d’ailleurs d’une année à une autre. Selon l’annuaire statistique du Burundi publié en Mars 2023 par l’Institut National des Statistiques du Burundi, la consommation du bois de chauffage est passée de 9 464 379 en 2012 à 10 655 944 de tonnes en 2017.
Dans la culture burundaise, les activités ménagères relèvent de la responsabilité des femmes et des enfants, constate le sociologue Didace Ndayikengurukiye. Ce qui explique pourquoi ils passent le plus temps près de l’âtre, poursuit Ndayikengurukiye.
En restant près de leur mère, les nourrissons et les enfants sont exposés au feu. Cette exposition combinée à la malnutrition peut causer des retards de croissance, explique le Dr Célestin Sibomana, Secrétaire exécutif permanent de la plateforme multisectorielle de sécurité alimentaire et de nutrition au Burundi.
La pollution de l’air à l’intérieur des habitations, source des maladies respiratoires
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS en sigle), environ 2,4 milliards de personnes dans le monde, soit environ un tiers de la population mondiale, font la cuisine à l’aide de foyers ouverts. En plus, ils utilisent du bois, des résidus agricoles, etc. Ce qui engendre une pollution nocive de l’air à l’intérieur des habitations.
Citant l’Organisation Mondiale de la Santé, la Politique Nationale d’Assainissement du Burundi et Stratégie Opérationnelle Horizon 2025 indique que le Burundi fait partie des 21 pays dans le monde les plus touchés par la pollution de l’air à l’intérieur des habitations.
Toujours selon l’OMS : « la pollution de l’air à l’intérieur des habitations diminue la capacité respiratoire et accroît la prévalence des maladies non transmissibles, notamment l’accident vasculaire cérébral (AVC), la cardiopathie ischémique, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), le cancer du poumon et à long terme, les problèmes cardio – vasculaires. Des maladies respiratoires, identifiées comme première cause de mortalité. »
D’autres effets sont aussi à craindre, avertit l’OMS : « Lorsque la mère s’accroupit auprès du feu, la chaleur endommage les conjonctivites et la cornée. L’inflammation peut devenir chronique. L’exposition prolongée peut donner lieu à des kératites, qui diminuent la vision et probablement accroissent le risque d’infection à répétition de cataracte et de cécité. »
Les conséquences de la pollution de l’air à l’intérieur des habitations se chiffrent en millions de décès par an. L’OMS indique que la pollution de l’air à l’intérieur des habitations a été responsable d’environ 3,2 millions de décès par an, en 2020, dont plus de 237 000 décès d’enfants de moins de 5 ans.
Il faut noter qu’au Burundi, la pollution de l’air à l’intérieur des habitations est à l’origine de près de 5 % de la mortalité et de la morbidité.
Bois de chauffage, facteur de déforestation ?
Même s’il pollue l’air à l’intérieur des habitations, le bois et ses dérivés comme le charbon est de plus en plus rare ces derniers jours. Evelyne Nizigiyimana, de la colline Ruvumvu, toujours à Bubanza, se souvient de l’époque où l’accès au bois de chauffage était facile: « Au début des années 2000, nous coupions les bois de chauffage sur les collines. Personne ne te poursuivait pour avoir recherché les bois sur sa propriété. Néanmoins, les collines sont actuellement nues. Nous obtenons du bois de chauffage après avoir parcouru des milliers de kilomètres. »
Même les prix du bois de chauffage et de ses dérivés comme le charbon se sont envolés récemment. Un sac moyen de charbon de bois est passé de 35 000 fbu en Novembre 2023 à 55 000fbu en Janvier 2023, nous confie Thierry Ndabemeye, vendeur de charbon de bois en zone Nyakabiga, commune Mukaza de la Mairie de Bujumbura, capitale économique.
Le Professeur Frédéric Bangirinama met en garde les burundais que les écosystèmes forestiers situés en dehors des aires protégées sont en cours de disparition. Ils ont déjà disparu dans les provinces limitrophes de la ville de Bujumbura et diminuent progressivement dans les provinces lointaines comme Bururi, Gitega, Karuzi et Makamba, met en garde le Professeur Frédéric Bangirinama.
En dépit d’autres facteurs externes comme la pénurie de carburant ces derniers jours pour transporter les bois et ses dérivés, la disparition des écosystèmes forestiers n’en est pas moins un facteur primordial de la hausse des prix du bois de chauffage et du charbon de bois, observe-t-il.
Chaque année, la consommation de charbon de bois par la population des villes Gitega et Bujumbura entraîne une perte équivalente de 3 505 à 4 673 d’hectares de couvert forestier. La population urbaine totale du pays générerait une perte annuelle comprise entre 5 236 et 6 980 d’hectares. Or, un arbre absorbe en moyenne 10 à 40 kg de CO2 par an. Si on coupe un arbre, on s’expose à cette quantité de CO2.
Pour protéger les Burundais de la pollution de l’air à l’intérieur des habitants et les effets de la déforestation, le gouvernement du Burundi devrait rendre l’accès à d’autres sources d’énergies de cuisson des aliments facile, suggère Léonidas Niziyimpa, représentant légal de l’ONG environnemental local Conservation et Communauté de Changement (3C). Notamment le gaz. Cette solution a très bien marché dans d’autres pays africains. Elle pourrait l’être dans notre pays, le Burundi, assure Léonidas Nizigimpa.
Afin de matérialiser cette solution, le gouvernement burundais devrait subventionner le secteur d’achat du gaz et du matériel connexe, suggère-t-il. A l’heure actuelle, le gaz et les matériels connexes coûtent énormément cher et ne sont pas à la portée de tous les burundais, remarque Léonidas Nzigiyimpa.
Pendant la cuisson, nous pouvons également recourir à l’électricité, indique cet environnementaliste. Mais, le gouvernement devrait jouer également un rôle très important en augmentant la production de l’électricité au Burundi.
En 2021, la Banque mondiale montre que le taux d’accès à l’électricité au Burundi s’élève à 10,2% de la population du pays. Dans les zones rurales, ce pourcentage était de 1,6%.